L'instant magique (suite) : Le vide comme élément de mise en scène
- Caroline Vogel
- 6 avr. 2010
- 2 min de lecture
Lorsque nous considérons une mise en scène, nous devons toujours prendre en compte [...] ce qu[e le théâtre] ne représente pas sur scène.
Jack Goody, Mises en Scène du monde, "Absence ou présence"
Dans la vie comme sur la scène, chaque action existe par rapport à ce qui aurait pu être fait. Ainsi se dresse constamment devant nous un axe paradigmatique des choix que nous pouvons faire. Par exemple, à cet instant je peux : sortir, prendre un verre, me lever, parler, ne pas parler. Je choisis de dire.
Au théâtre, la réalité mise en exergue fait que l’absence doit exister au moins autant que ce qui se voit. C’est lorsque l’absence devient visible, palpable, audible dans chaque silence, que le spectateur entrevoit l’amorce du néant qui constitue la chaîne d’une réalité parallèle : l’univers des possibles.
Cet univers est un trou noir. Il est nécessaire cependant d’assumer l’existence de ce vide, de lui définir un espace d’expression. Dans Le Mariage des morts, par exemple, de Jean-Pierre Sarrazac, le vide est un élément essentiel de la pièce qui prend la place d’un partenaire que les comédiens doivent apprivoiser et que la scénographie peut faire apparaître. (Quand j’ai travaillé à la mise en scène de cette pièce en 1997, j'ai tendu sur le mur du lointain une grande toile monochrome bleu ciel dans le décor de l’appartement de Nice).
Dans la partition du jeu scénique, le vide doit se faire sentir aux moments où la chaîne parlée est interrompue. Par exemple, dans tous les moments où le personnage bégaie, hésite. Les “Tu, tu..” ne doivent pas faire penser aux tutus de ballet! Il doit être aménagé entre les mots un espace intermédiaire laissé vide.
De la même façon, lors de répliques coupées ou entrecoupées, l’acteur doit connaître la suite. Cette suite inexistante doit exister par son absence. La méthode serait de penser les choses et de décider de ne pas les dire. Le silence ainsi décidé devient un vide dompté.
Le comédien que le vide dérange aura tendance à resserrer les mailles du texte. En alexandrin cette tendance coupable aura pour effet de gommer tous les “e” muets qui sont justement les interstices d’expression de cet univers des possibles.
Car encore faut-il savoir de quoi le vide est fait avant de pouvoir l’exprimer. On ne peut pas penser jouer un rôle avant d'en avoir compris tous les silences. Ma grand-mère maternelle, artiste peintre m'a donné un jour ce précieux conseil : pour savoir si un tableau est bien composé, il faut regarder les vides.
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