Dire l'alexandrin

Pourquoi se croit-on obligé de déguiser le vers dans la tragédie? De le draper à l'antique et finalement de le recouvrir d'un voile opaque qui le rend hermétique à la compréhension, le fige?

Pourquoi ne pas dire les mots, les prendre avec tout leur sens?

Il n'est pas besoin de faire traîner les syllabes pour leur donner de l'importance. Chaque son a sa place dans le vers. Sa juste valeur. Chaque phonème s'articule avec celui qui le précède et le suit sans qu'on ait besoin de le soutenir.

Appuyer l'alexandrin c'est comme lui mettre un tuteur dont il n'a pas besoin.

Le rythme des douze pieds n'a pas non plus besoin qu'on le marque. Il est intrinsèque, il préexiste à tout ce qu'on peut entreprendre comme manière de dire et de faire. Il faut lui faire confiance car il résiste à tout, du moment qu'on le respecte.

Mais il faut d'abord le respecter c'est vrai. Pour bien avancer, l'alexandrin a besoin de ses douze pieds. Douze. Pas un de moins, pas un de trop.

Prenons le vers comme une partition où chaque sonorité, telle une note de musique, a sa propre valeur, résonnance, couleur. Un é n'est pas la même note qu'un ê, etc.

Une fois cette suite de sons mise en bouche et en voix, les silences et les pauses trouvent leur place dans l'interprétation par rapport au sens. Et uniquement par rapport au sens!

Nul besoin de marquer chaque fin de vers. Le cerveau devient fou après une heure et demi de :"1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 - 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12..." Le rythme des vers, comme celui des pensées qui traversent l'esprit, n'est jamais aussi simple et régulier. Il se module et évolue au cours du texte.

Ainsi, la phrase peut se fragmenter et faire à l'intérieur d'un vers plusieurs groupes de sens, ou même faire s'enchaîner deux vers... de multiples combinaisons sont possibles.